Leçon 3Des soldats en enfer

Même la guerre est quotidienne.
Marguerite Duras

"À flux tendu"

Où l’on alimente une bataille jamais rassasiée en hommes et en matériel.

Soldats français au bord de la Voie sacrée, 1916. Photo : © Mémorial de Verdun Illustration Artips

"Des nuits et des nuits, ils restent rivés à leur volant, brisés de fatigue, dans une immobilité qui les ankylose, mangeant comme ils peuvent un morceau, d’une main gonflée d’engelures, enduite de vaseline glacée, pendant que l’autre main continue machinalement à conduire."

Ces hommes que le dessinateur Sem a rencontrés et dont il retranscrit ici le témoignage, ce sont les conducteurs qui transportent sans relâche depuis Bar-le-Duc les soldats et le matériel qui doivent assurer la défense de Verdun.

Un ambulancier raconte la difficulté à rouler sur cette route glacée. Les camions, qu’il compare à de jeunes éléphants titubants "roulaient sur le côté, se renversaient, d’autres prenaient feu ; plusieurs aussi étaient abandonnés, sans aucune avarie apparente, dans la vague incessante d’un trafic qui ne s’arrêtait jamais !"

L’ordre est clair, en effet : un camion en panne doit être poussé hors de la route et abandonné. Pas le temps de jouer au mécano !

D’après les calculs menés par un journaliste après-guerre, chaque semaine, 3 500 camions transportaient 90 000 hommes et 50 000 tonnes de matériel et parcouraient ensemble l’équivalent de 25 fois le tour de la Terre !

Cette route à double sens, sur laquelle ceux qui montent au front voient les visages défaits de ceux qui en descendent, rentre dans l’imaginaire collectif comme "La Voie sacrée".

Convoi de camions sur la Voie sacrée, 1916. Photo : © Mémorial de Verdun